C’est la nuit et je n’arrive pas à dormir.
Si j’éteins la lumière, portes et fenêtres fermées, rideaux tirés, alors l’obscurité envahira la pièce.
Et je ne verrai plus rien.
Pourtant la lampe de chevet, la chaise et le bureau d’angle, toutes ces choses et ces objets seront bien là, silencieux. A portée de main.
Mais invisibles.
La vérité, c’est que nous coexistons avec d’autres réalités, d’autres formes d’existences que nous pressentons sans pouvoir les décrire ni les nommer.
Mais nous les pressentons, oui. Obscurément, de façon intuitive.
Je le sais, je le sens.
Et c’est pour ça que je ne veux pas éteindre la lumière. Pour ne pas me mettre en situation d’infériorité. Parce qu’eux voient sûrement dans le noir. Et pas moi.
Peut-être que je n’aurais pas dû choisir cet hôtel. Cette chambre, au début, je la trouvais plutôt accueillante. Avec des vibrations positives.
Maintenant, elle ne me dit plus rien qui vaille. Alors j’allume une énième cigarette en me répétant qu’il faudrait quand même que je réussisse à dormir.
Même avec la lumière allumée.
Mon problème, c’est que je réfléchis trop.
J’ai un mal fou à rassembler mes idées. A les ordonner, leur donner un sens. Une cohérence globale. Mon problème, c’est que j’ai peur de dormir. J’ai peur qu’ils envahissent mon sommeil, prennent possession de mon esprit. Alors je reste éveillé. Mais ça fait déjà trois jours et trois nuits, je suis crevé, je ne pourrai pas continuer longtemps comme ça. Il va falloir que je trouve une solution. Mais je ne sais pas laquelle, je ne trouve pas.
Tout à coup, je prends conscience qu’il y a une armoire dans cette chambre d’hôtel. Une grande armoire. D’une taille suffisante pour qu’un homme – ou une femme ou un animal vorace, à tout le moins un être vivant – s’y cache pour mieux me surprendre pendant mon sommeil. Me poignarder ou vider une fiole d’acide sur mon visage, m’ouvrir le ventre avec une lame de rasoir et m’éviscérer vivant. Ou pire encore. Je m’en veux, pourquoi je n’ai pas pensé à regarder à l’intérieur ?
Il n’est pas trop tard. Toujours assis sur le lit, j’arme mon revolver. Heureusement que je l’ai. Sans lui, je me sentirais démuni. Nu comme un ver.
À haute voix, je m’entends demander :
- Il y a quelqu’un dans l’armoire ?
Rien ne bouge.
J’ai peut-être mal formulé ma question, alors je répète, plus fort :
- Est-ce qu’il y a quelqu’un dans l’armoire ? Répondez !
Toujours rien. Et pourtant, quelque chose ne va pas. Je ne sais pas quoi mais quelque chose n’est pas normal.
Alors je hurle :
- SORTEZ DE LÀ TOUT DE SUITE, JE SAIS QUE VOUS ÊTES DANS L’ARMOIRE !
Lentement, à pas de loup, je m’approche du meuble ; le parquet craque sous mes pieds. D’un coup, j’ouvre le battant.
Rien.
Des portemanteaux en plastique.
Je les touche du bout des doigts, ils sont inoffensifs.
Et pourtant, il y avait quelque chose à l’intérieur, j’en suis certain ! Une présence. Malfaisante.
C’est alors que juste derrière la porte de ma chambre s’exprime la voix :
- Tout va bien, monsieur ? Excusez-moi mais j’ai entendu crier, tout va bien ?
Un piège grossier - je leur en veux de me sous-estimer à ce point, je tire trois fois à travers la porte, coup sur coup. Tout de suite après, j’entends le bruit d’un corps tomber dans le couloir.
Et puis plus rien.
Le silence.
Je me sens mieux. Je crois que je vais enfin pouvoir m’endormir, au moins une heure.
Ça va me faire du bien, je suis vraiment crevé.
Eric SCILIEN *