Eglantine roulait par une belle après-midi printanière.
Il lui semblait traverser un livre d’images, glissant sur un ruban de velours gris étendu pour ne pas froisser l’herbe d’un vert tendre.
Crocus, myosotis et boutons d’or coloraient le décor.
Une musique douce la berçait, son humeur était plutôt enjouée, malgré quelques soucis qui la taraudaient depuis plusieurs mois.
L’air était encore frais et les arbres en fleurs la regardaient passer, agitant leurs branches fleuries en guise de salut.
La sonnerie de son téléphone rompit son émerveillement, la ramenant soudain à plus de réalité.
Elle se gara, il y avait justement une aire de pique-nique avec tables et bancs. Mélodie, sa fille, lui annonça qu’elle dînerait dehors ce soir. Elle était jeune, jolie, heureuse, sa maman en était fière. Elles étaient proches et s’aimaient très fort, même si parfois l’orage menaçait.
Eglantine l’embrassa puis resta songeuse le temps d’un instant.
Un cadre de bois attira son attention. Il était posé sur le sol à la lisière de l’asphalte. Elle pensa qu’il serait parfait pour un bon feu de cheminée.
Il n’était pas dans ses habitudes de ramasser n’importe quoi mais elle fut tentée.
Sans trop s’attarder, elle l’engouffra dans son coffre et repartit.
N’y songeant plus en arrivant, elle l’oublia jusqu’au lendemain.
Le matin, y repensant soudain, elle s’en saisit pour le ranger sur le bûcher,
et s’aperçut alors qu’il s’agissait du squelette d’une chaise longue, une chilienne précisément.
La dépliant avec précaution, elle vérifia que rien n’était cassé.
Curieusement, elle eût pitié de cette structure dépouillée.
Triste, mais encore jolie, elle paraissait implorer de l’aide pour se reconstruire, couvrir sa nudité, retrouver sa dignité.
Elle donnerait alors en échange le meilleur d’elle-même.
Le hasard les avait réunies. Eglantine lui promit de s’occuper d’elle. Elle adorait bricoler.
Première étape : lui refaire une beauté, un bain moussant, un peeling et une bonne couche de vernis, pour lui redonner bonne mine.
Il fallait ensuite l’habiller, lui redonner fière allure.
Que choisir ?
Parmi les rouleaux unis, rayés ou fleuris, Eglantine réfléchissait, indécise de nature.
Elle s’arrêta enfin devant une toile blanche, parsemée de coquelicots écarlates, sûre que cette nouvelle robe lui plairait.
Sa fidèle machine à coudre l’aidant, la réalisation fût rapide et le résultat magnifique.
Elle lui enfila cette nouvelle tenue délicatement et la sentit trembler de plaisir.
Mademoiselle Chilienne étira ses membres, semblant sourire, reconnaissante et fière d’avoir retrouvé son utilité, sa raison d’exister.
Eglantine la transporta dans le jardin. Le gazon fraîchement tondu sentait bon et lui caressait les pieds.
Le soleil la réchauffait. Elle avait eu si froid la nuit, abandonnée, nue, elle en aurait pleuré.
Elle tendit les bras vers Eglantine qui s’installa confortablement, les jambes à l’horizontal et les bras en accent circonflexe.
Un bien être l’envahit, son corps semblait flotter, ses ennuis s’envolaient.
Une profonde complicité les réunit. Elles étaient toutes deux heureuses et s’endormirent.
Eglantine prit l’habitude de faire de longues pauses chaque jour, allongée sur sa chaise longue.
Elle s’accordait enfin le temps de se reposer, lisait, méditait et se mit même à lui parler.
En racontant doucement ses joies, ses peines, ses doutes, ses envies, sa vie, son impression de solitude s’était évanouie.
Un jour, Mademoiselle Chilienne lui confia à son tour son histoire.
Elle avait beaucoup vécu. Née dans une usine en 1940, elle fut achetée avec sa sœur jumelle par une charmante dame qui leur offrit comme appartement, une grande terrasse ensoleillée.
Sa robe était rayée orange et marron, couleurs tendances à cette époque.
Durant les jours ensoleillés, cette dame et son mari s’allongeaient le dimanche après-midi pour une longue sieste.
Souvent, les enfants jouaient avec elles, les métamorphosant en cars, automobiles ou paquebots, installant nounours et bagages dans le cadre arrière, ils partaient en voyage, vers de lointains pays.
Durant l’hiver elles hibernaient repliées dans un petit placard confortable et bien chauffé.
Au printemps, elles s’éveillaient, s’étiraient et reprenaient leur place préférée.
Les années s’écoulaient, paisiblement, les petits-enfants prirent le relais. Elles étaient l’emblème de la terrasse de Grand-mère.
Puis un jour, sa sœur jumelle se brisa une jambe. Malgré les nombreux soins prodigués par la famille elle ne guérit pas.
Il fallut alors s’en séparer. Elle fut incinérée.
Son chagrin fut immense. Elle restait seule.
Pour la consoler, on lui offrit une petite sœur, mais elle ne lui ressemblait pas. Chaise Relaxe était son nom.
Elle était très intelligente. Il suffisait de soulever un peu ses bras pour qu’elle s’incline en arrière.
Elle se sentait vieille et démodée, sa robe craquait, on finit par la lui arracher on la descendit à la cave parmi les malles anciennes et les boulets de charbon. Ils ne sympathisèrent jamais.
Elle n’arrivait pas à dormir, elle avait envie de mourir.
Des années plus tard un gros moustachu vint débarrasser la cave et la jeta dans la benne de son camion. Où l’emmenait-il ? Quel sort lui réservait-il ? Elle avait très peur. Elle sauta du camion en marche pour en finir avec cette vie qui n’en était plus une.
Eglantine, les larmes aux yeux, comprenait sa détresse et lui jura de ne jamais l’abandonner
Elle l’emmena se promener, par une belle journée ensoleillée, dans un immense champs de coquelicots.
Quelques papillons intrigués venaient les saluer et le soleil leur lançait des clins d’œil.
La blancheur de sa robe lui donnait l’allure d’un jeune mariée.
Eglantine retrouva peu de temps après, une des sœurs cadettes de Mademoiselle Chilienne dans un vide grenier.
Lui offrit aussi une jolie robe et l’installa auprès d’elle.
Elles avaient tant de choses à se dire……une nouvelle vie commençait.
Elles devinrent l’emblème du jardin d’Eglantine qui trouvait toujours un moment pour aller les rejoindre avec beaucoup de plaisir.
Dany Françoise LAGARRIGUE